Assurer un bon fonctionnement et une régulation du marché des crédits carbone et services environnementaux pour toutes les parties prenantes

 Dans le cadre de son cycle d’étude consacré à la « rémunération des services environnementaux rendus par les producteurs de grandes cultures », l’association PLURIAGRI [1] a organisé un webinaire le 09 juillet 2021. Retour sur cet évènement.


Le présent document constitue un résumé des échanges tels qu’ils ont été perçus par l’ARTB. Les conclusions qui sont dressées sont donc du seul ressort de l’ARTB.


Points « clés » concernant l’agriculture française

  • Emettrice de gaz à effet de serre 
    • avec 7% des émissions nettes de CO2 (incluant UTCATF et consommation d’énergie fossile)
    • avec 17% des émissions nationales hors CO2 (hors UTCATF[2]) : un niveau en baisse depuis 1990
  • Disposant d’un fort potentiel de réduction et de compensation 
    • le potentiel de stockage « 4 pour 1000 » est équivalent à 39% des émissions agricoles et 6.5% des émissions nationales de GES (hors CO2)
    • 90% de ce potentiel concerne les grandes cultures
  • Offrant des services environnementaux complémentaires
    • avec notamment le maintien de la biodiversité et la qualité de l’eau

 


[1] Pour rappel, l’association Pluriagri regroupe Unigrains (céréales), Avril et Terres Univia (oléo-protéagineux), l’ARTB et la CGB (betteraves à sucre) ainsi que le Crédit Agricole. L’association a notamment pour objectif d’analyser la compétitivité des producteurs français en grandes cultures, réaliser des études prospectives sur les marchés et les politiques agricoles et contribuer au débat sur les politiques publiques en lien avec les enjeux de sécurité alimentaire et d’environnement.

[2] UTCATF = Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie.


1. France CarbonAgri : Emmanuel BERNARD

 

Appels à projet

France CarbonAgri Association a lancé 2 appels à projets (en février 2019 et en Novembre 2020) dans le cadre du LABEL BAS CARBONE. Au total, les projets retenus dans le cadre de ces appels à projets ont concerné environ 1 600 (300  + 1300) exploitations agricoles.

D’un point de vue quantitatif, le potentiel de vente de crédits carbone aux entreprises aval suite à ces appels à projets serait de l’ordre de 20 MEUR.

Rémunération

La rémunération des agriculteurs pour les projets labellisés CarbonAgri est de l’ordre de : 30 EUR/t CO2

Le coût des crédits carbone pour les entreprises aval est d’environ : 38 EUR/t CO2

La différence de 8 EUR/t CO2 permet de couvrir le coût des diagnostics (initial, à mi-parcours, et audit final) ainsi que le coût de suivi projet et autres frais de gestion.

NDLR : L’outil CAP2er est utilisé pour le calcul et la détermination des crédits carbone associés à chaque projet.


2. AgroSolutions : Edouard LANKRIET

 

LABEL BAS CARBONE « Grandes Cultures »

Il est rappelé que le LABEL BAS CARBONE est un cadre public national qui permet de flécher des financements « carbone » privés (marchés volontaires). Tous les secteurs d’activité peuvent ainsi proposer des « méthodes » d’évaluation de la réduction des émissions et du stockage de carbone. Le label Bas Carbone « Grandes Cultures » s’inscrit dans ce cadre.

Le schéma ci-dessous fournit une représentation des principales étapes nécessaires au montage d’un projet « Label Bas Carbone » (la durée des projets étant fixé à 5 ans, renouvelable).

D’un point de vue opérationnel, il est utile de souligner que cette méthode « Grandes Cultures » permet de calculer les réductions des émissions et les gains en matière de stockage carbone par le biais d’une référence qui peut être soit :

  • Générique : comparaison des performances de l’exploitation aux données régionales) et/ou
  • Spécifique : comparaison des performances de l’exploitation entre le début et la fin du projet

De cette façon, certains projets impliquant des exploitations ayant déjà réduits leurs empreintes carbone ne sont pas pénalisés et peuvent utiliser la référence générique pour maintenir leurs pratiques vertueuses.  

Outil digital

Plusieurs outils digitaux sont en cours de développement pour calculer les réductions d’émissions et le stockage du carbone dans les sols agricoles selon la méthode « Grandes Cultures ». C’est ainsi que l’outil baptisé « Carbon Extract » a été développé par la société AgroSolutions. L’outil est en démonstration jusqu’à fin juillet 2021 et l’objectif est de le rendre pleinement opérationnel à l’horizon fin septembre 2021. Cet outil – à rapprocher de l’outil CAP2er dans la filière élevage - permet de calculer les gains potentiels en carbone des projets pour les ateliers « Grandes Cultures ».

Agrosolutions prévoit que l’outil soit accessible à tous via une licence dont le prix devrait être compris entre 200 et 300 EUR pour le 1er diagnostic PUIS de l’ordre de 50 EUR/an ensuite.

La technicité de l’outil est assez importante, notamment concernant le calcul du stockage du carbone dans le sol : les cibles privilégiées pour l’utilisation de cet outil sont donc les conseillers techniques.

Pour alléger les saisies, l’outil peut être interfacé avec d’autres outils digitaux comme « SMAG », « Mes parcelles » ou « Isagri » notamment.

Résultats préliminaires

Les premières évaluations de réductions des émissions et de stockage de carbone montrent toutefois que les gains en grandes cultures sont globalement limités (les gains se situent dans une fourchette de 0 à 2 t/ha /an).

Il est également très important que les agriculteurs mettent en regard de ces crédits, les coûts de leur mise en œuvre :  changement de pratiques pouvant nécessiter des investissements et changements des systèmes de cultures pouvant entrainer des différentiels de marges.

Foisonnement des cadres de certification

Actuellement il existe différents cadres de certification des gains carbone :

  • Un cadre de certification privé internationaltype Gold Standard ou Verra-VCS: ce cadre de certification est toutefois payant et onéreux mais offre l’avantage d’obtenir des crédits carbone fongibles sur les marchés internationaux du carbone
  • Un cadre de certification public nationalà l’image du Label bas carbone en France : si ce cadre de certification est « gratuit », il est associé à une non-cessibilité des crédits et ne permet donc pas de pouvoir utiliser les crédits générés sur les marchés internationaux du carbone
  • Un cadre de certification non régulé dans lequel les acteurs privés indépendants sont les seuls garants de la validité de leurs méthodes de calcul : ces crédits ne sont donc pas cessibles sur les marchés internationaux du carbone.

Concernant le Label Bas Carbone français, la mise en place d’un cadre de certification public européen doit permettre d’obtenir une reconnaissance européenne et favoriser ainsi l’intégration des crédits carbone sur les marchés internationaux du carbone.


3. AgroSolutions : Bernard GIRAUD

 

À propos de Livelihoods Funds

Il s’agit d’un fonds de « compensation » avec des investissements en capital de la part des entreprises parties prenantes du fonds. 

Exemple d’investisseurs :

Selon Livelihoods Funds, ce dispositif permet de résoudre – au moins partiellement – le problème du préfinancement[3] des projets. En effet, il faut normalement attendre 5 ans pour que les agriculteurs puissent obtenir un retour financier grâce à la vente de crédits carbone. L’agriculteur doit cependant investir dans des matériels et des changements de pratiques pour générer ces crédits carbones. La logique de préfinancement permet donc d’alléger le cout induit pour les agriculteurs.

[3] Ce n’est pas le seul dispositif permettant un préfinancement, cette disposition peut tout simplement être prévue dans le contrat avec l’acheteur.

Exemple de projet Livelihoods : en « Bretagne » 

Le projet concerne 100 exploitations de toutes natures et regroupe 11 000 ha au total. Les gains potentiels carbone sont potentiellement de l’ordre de 140 000 t de GES stockés sur 10 ans soit un volume de carbone équivalent à 5,6 MEUR (sur la base d’un cout de la tonne de CO2 de 40 EUR/t).

Sur le fonds, ce projet consiste à mettre en place une agriculture dite « régénérative » inspirée de l’agriculture de conservation, avec :

  • mise en place de couverts végétaux,
  • diversification et allongement des rotations,
  • travail simplifié (minimal ) du sol.

Exemple de rotation de cultures :

Ces techniques reposent sur des pratiques ayant 10 à 25 ans de recul, selon Livelihoods et « les rendements constatés ne sont pas très inférieurs à ceux des cultures conventionnelles » selon Livelihoods.

Dans le cadre de ce projet, les aides directes pour les agriculteurs sont de 80 EUR/ha plafonnés à 7 500 EUR sur 5 ans, avec renouvellement possible.

Le financement est de type « public-privé » avec une valorisation du crédit carbone de 40 EUR/t CO2 (50% de financement privé + 50% de financement par la région). Les crédits générés reviendront in fine aux entreprises ayant investi.

Autre exemple de projet Livelihoods au Rwanda :

Le projet consiste à régénérer de la forêt tropicale. Le niveau de séquestration du carbone est important (de l’ordre de 2 MT CO2) et le coût du crédit pour les entreprises est bas (5 EUR/t).

Ce différentiel dans le cout des crédits carbone des pays développés et des pays en développement pose ainsi la question d’une segmentation éventuelle du marché carbone.

Selon Livelihoods, cette segmentation du marché carbone est possible et pourrait intégrer la nature du projet concerné et les efforts nécessaires pour sa mise en place).

Des questions

De manière un peu provocatrice, « mieux vaut partir d’un sol très dégradé pour que les volumes de crédits carbones soient supérieurs »… La référence pour le calcul des gains carbone constitue donc un point clé.  

Autre enjeu majeur : l’agrégation des agriculteurs afin de pouvoir attirer des entreprises qui doivent compenser leurs émissions dans des proportions souvent assez significatives (un producteur tout seul ne sera pas intéressant pour ces entreprises…)

Un financement de transition :

Selon Livelihoods, la financiarisation du carbone doit permettre d’orienter l’agriculture vers de nouvelles pratiques plus vertueuses. Il ne faut toutefois pas perdre de vue le fait que la courbe de stockage du carbone dans le sol est asymptotique. A ce titre, le financement carbone est transitoire sur une période d’environ 8 à 10 ans.

Cessibilité des crédits carbone :

Pour Livelihoods, la cessibilité des crédits carbone est un enjeu principal dans le cadre du Label Bas Carbone. Si les crédits ne sont pas cessibles, Livelihoods ne sera vraisemblablement pas en mesure d’attirer les entreprises qui souhaitent pouvoir disposer de ces crédits sur les marchés internationaux.


5. Afac-Agroforesterie / Fondation Yves rocher : Paule POINTERAU

 

Situation des haies en France 

Selon AFAC-Agroforesterie :

  • 70% des haies ont disparu en France depuis 1950, principalement du fait de remembrements
  • 11 500 km disparaissent encore chaque année

Les haies permettent par ailleurs d’atteindre les 10% IAE / SAU sur les exploitations pour maintenir la biodiversité. De prime abord, on peut stocker 53 MT de CO² supplémentaires et permettre l’exploitation du bois pour couvrir jusqu’à 15% de la consommation énergétique de l’agriculture.

Stockage de carbone par les haies

Les haies stockent environ 4 t CO2/ km /an dont 1,3 t CO2/ km /an dans les parties aériennes qui peuvent être exploitées, et 2,6 t CO2/ km /an dans le sol et les racines.

Financement des agriculteurs:

AFAC-Agroforesterie a mis en place avec la fondation Yves Rocher un soutien aux agriculteurs : le « fonds pour l’arbre ».


L’objectif d’AFAC-Agroforesterie n’est pas de proposer de la « compensation du carbone = droit à polluer », mais de soutenir financièrement les agriculteurs par le mécénat afin que le carbone additionnel stocké par les haies reste dans la filière agricole.

Concernant le retour aux agriculteurs, il n’y a pas eu de chiffres étayés proposés, mais des indications  incomplètes qui paraissent toutefois un peu fantaisistes pour certaines : contrats PSE jusqu’à 6 000 EUR/ an sur 5 ans (à 40 EUR/T cela nécessite de planter 38 km de haies !), économie de 11 600 EUR/an sur les litières de bovins en remplaçant la paille à 100 EUR/T par de la plaquette à  50 EUR/T (les chambres d’agriculture indiquent 90 EUR/T pour la plaquette, et seulement 30% de remplacement possible…).